La Potence
LE CHIENLIT C'EST MOI !
siné
LA CHIENLIT C’EST MOI !
L’isle- Adam, le 5 avril 78 siné
J’ai fait beaucoup de dessins en 25 ans, mais les meilleurs, les plus près de mon cœur, sont, sans aucun doute, ceux qui sont dans ce livre. Plus de 100 dessins faits en 2 mois- mai et juin 68- dans des conditions les plus souvent saugrenues : dans des bistrots, des caves ou des greniers, dans le métro et même…dans des commissariats ! Il faut dire que l’ " environnement " y était ! Pavés, barres de fer, manches de pioche, barricades, gazs lacrymogènes, matraquages, ratonnades…l’ambiance idéale pour créer- en tous cas pour moi ! J’ai rarement travailler autant que pendant cette époque- facilement 15 à 16 heures par jour. Une activité débordante, une jeunesse retrouvée et tout ça pour pas un rond ! Un syndiqué n’aurait jamais accepté ! Je trouvais le temps d’écrire aussi- à des copains, à des journaux mais surtout à ma femme. Ma concubine, pour être plus exact (rassurez-vous, conservateurs de tout poil, je l’ai épousée depuis !) Il faut dire, à notre décharge, qu’on y a été obligé : cette saloperie de gouvernement l’exige quand on veut adopter un lardon. Vous allez voir, à partir de la page suivante, des bafouilles que je lui envoyais au Brésil où elle était partie un mois plus tôt faire un boulot de journaliste. Je lui raconte tout, ou presque, jour par jour, heure par heure- c’est marrant de relire ça ! Elle les avait gardées des reliques- mes lettres- dans les enveloppes originales avec un nœud rouge et noir ! Quel pied ! Ca m’a évité d’écrire une préface et c’est bien plus marrant- authentique ça j’vous le jure…à part quelques omissions- des passages de cul qui ne vous regardent pas ! – tout est là- sans retouches- tout chaud ! Faut pas être regardant question syntaxe- ça venait comme ça- se bousculait un peu au portillon- une vraie cataracte- il y a des répétitions- excusés aux puristes ! Le mot " enculé " revient peut-être un peu souvent mais ils le méritaient ces empaquetés ! Ca défile vite- ça cogne- en les relisant j’ai retrouvé des odeurs, des sensations, des copains, des merveilleux moments où l’on a pu croire tenir le bon bout ! Hélas, le P.C.F. nous a enculés comme à l’accoutumée ! Comme il vient de le refaire aux dernières élections…dans le patelin où j’habite maintenant, il a demandé à ses électeurs de voter pour un gaulliste de gauche (sic) !..Dix ans de plus, mais toujours fidèle à son absence de principes !.. et Wolinski, mon pote de l’ENRAGE, qui leur file un coup de paluche… on doit rêver ! Cauchemarder plutôt ! Les patrons des partis communistes quels qu’ils soient- français, italiens, espagnols etc… (et même cubains maintenant)- trahissent les révolutions, cocufient leurs militants, écoeurent leurs sympathisants (j’en suis un !). Quelle tristesse ! Quel gâchis ! Mais il ne faut pas se laisser aller les copains : ce n’est qu’un début, continuons le combat…surtout que la droite pourrie mais renforcée- merci monsieur Marchais !- est là pour un bon bout de temps maintenant ! S’il ne devait rester qu’un enragé, j’aimerai être celui-Là. poum.Paris le 6 mais 23h37
Lundi
Mon amour chéri, mon cher amour,
Quelle vie ! Depuis vendredi pratiquement pas dormi ! Des manifs incroyables d’une brutalité à faire dresser les cheveux sur la tête. Je pense que tu as du en entendre parler là-bas à la radio.
Mercredi le 8 mai 22h30 J’ai dû interrompre ma lettre car juste à ce moment-là on m’a teléphoné et j’ai dû repartir à toutes pompes au Quartier Séneial des étudiants, à l’UNEF. Colin Bendit et des copains avaient besoin de moi pour dessiner un tract pour demain. Je suis rentré 2 heures plus tard avec un gars à planquer et à soigner, la gueule complètement abîmée par des éclats de grenade et le ventre ressemblant à celui du Père Ubu : bleu au centre et des cercles concentriques verdâtres, violacés et rouges. une gidouille effrayante ! Il avait reçu une bombe fumigène lancée au rocket en plein dans le bide avant qu’elle n’explose. Heureusement pour lui, ses copains avaient réussi à le ramener vers eux et à le soustraire au C.R.S. ! Ils l’auraient probablement achevé ces fumiers ! C’est l’un des dirigeants les plus violents du mouvement étudiant. Je n’étais pas tellement fringuant non plus à cause des coups de matraque reçus dans les jambes et sur les épaules ! On a eu du mal à grimper l’escalier ! On s’est quand même marré et félicité mutuellement en se frictionnant nos bras droits : c’est finalement là où on avait le plus mal à force de lancer des pavés sur les flics.
J’ai dû en balancer au moins 100 à environs 15 ou 20 mètres. On se serait cru aux Jeux Olympiques ! J’avais quand même en un quart d’heure de répit au moment où une bombe lacrymogène avait explosé à moins d’un mètre de mes pieds. J’ai cru crever asphyxié ou aveugle ! Heureusement 10 minutes plus tard les auto -pompes des flics nous lavaient complètement pour nous déloger ! Ca été héroique : je n’ai jamais tant joui de ma vie quand j’ai vu, finalement, les C.R.S reculer devant les jeunes – incroyable ! On aurait cru une guerre civile, le feu partout, les rues dépavées, 20.000 étudiants contre 8.000 C.R.S.armés qui reculaient ! 250 flics à l’hosto (au moins 1.500 jeunes dont probablement 2 ou 3 morts : on n’est pas encore sûr, mais ça va se savoir). Tout a commencé le vendredi 3 à 18h30 – appel à la manif. J’avais décidé de ne pas y aller car toutes les manifs se ressemblent et que j’avais du boulot…mais à la radio, j’entendais de plus en plus des communiqués exceptionnels : barricades, bagarres féroces, incendies, les étudiants maîtres du Quartier etc…j’ai pris mon vélo et j’ai foncé comme un dingue : c’était génial ! les flics couraient dans tous les sens affolés, se regroupaient et chargeaient comme des brutes. Il y avait au moins une centaine de chaussures dépareillées traînant dans les ruisseaux et sur la chaussée. les ordures frappaient les vieux, les femmes, tout ce qui leur tombait sous la matraque. Certains cognaient avec la crosse de leur fusil ! Mais les étudiants répliquaient avec une fermeté, un courage insensé. Des jeunes aux allures de beatuiks, de hippies au corps à corps, armés de barres de fer – incroyable ! Et dire, qu’il n’y a pas si longtemps je traitais certains d’entre eux de pédés ! Je suis rentré, ce soir-là chialant comme un veau – à la fois d’émotion et de bonheur mais surtout de gags – j’avais pris mon casque mais pas de mouchoir.
jeudi 9 je reprends car, hier soir, je me suis endormi, assommé, incapable d’écrire plus longtemps, malgré mon envie – j’ai tellement de choses à te dire. Michel est arrivé cette nuit à 4h30 de Belgique avec, dans le coffre de sa voiture plein de trucs pour nous aider ! On a discuté jusqu’à 6 heures ce matin. Il dort maintenant.
dimanche 12. 10h30
Tu te rends compte : ça va faire plus d’une semaine que ça dure. La nuit de vendredi à samedi a été unique : une vraie guerre. Je vais d’ailleurs t’envoyer des photos, des journaux, tu te rendras compte. C’est dingue ! Maud a été matraquée par 3 C.R.S. alors que, seule, elle se rendait à un vernissage de la Pochade jeudi dernier. Ces fumiers cognent sur tout ce qui est jeune…arabe ou nègre ! Heureusement j’ai une tronche de bourgeois et je passe inaperçu ! J’ai tenté d’expliquer à Maud que quelques coups de matraque ce n’était pas si mal et que ça confortait les opinions mais elle prétend qu’elle n’a pas besoin de ça ! Le Quartier latin ressemble à un champ de bataille : il ne reste presque plus de victimes ni de pavés. Hier, 60 voitures au moins ont brûlé. Un flic a eu la boîte crânienne enfoncée. On leur balançait des pavetons des toits – aujourd’hui du coup tous les toits sont investis par les C.R.S. – S.S. Ils sont rentrés dans les appartements matraquer des gens chez eux – des fous, des assassins – les hôpitaux sont débordés, il n’y a pas assez d’ambulances – ce sont les taxis qui viennent chercher les blessés ! Demain, grève générale, avec, cette fois, les prolos enfin ! Le P.C. a, selon son habitude, été ignoble traitant les étudiants d’ »anarchistes petits bourgeois». A ce propos, pas de nouvelle d’Elio Silveira ! Il doit se planquer ou alors il est en cabane ! Heureusement car je n’ai pas encore pu commencer ses dessins. Depuis 10 jours je ne fais que me battre et distribuer des journaux ! J’ai fait, seul, la mise en page et des dessins pour le n°1 d’un nouveau journal . ACTION. 8 pages en une nuit. 12.000 exemplaires vendus en 4 heures – on a dû retirer 20.000 le lendemain ! Michel est toujours là, il repart ce soir – Hier on avait rencart avec 2 petites nanas, mais on les a emmenées à la manif et la mienne a été blessée ! Pas de pot ! On est rentré à 3 ici et on s’est endormi aussi sec sans rien faire ! Je n’ai d’ailleurs pas non plus un verre de scotch depuis le début ! ! ! J’ai vu le toubib pour mon truc sous le cou : il m’a envoyé voir un spécialiste - -il a ouvert et on a trouvé devine quoi ? des poils de barbe qui avaient poussé à l’envers : une barbe intérieure ! Incroyable non ? Il a enlevé ce qu’il a pu mais il se peut que ça continue ! C’est gai ! Je t’aime mon amour – je vais poster cette lettre en vitesse et en commencer une autre aussitôt. A tout à l’heure ! Casadesus, notre voisin, a réouvert les hostilités aussi ! je te raconterai.
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