La Potence
LA DIALECTIQUE COMME MOUVEMENT ET AUSSI COMME METHODE
El wassouli Karim 19/05/2003
Nous avons choisi d’aborder la question de la dialectique en premier lieu car, tout au long de ce qui va suivre, elle va être l’élément central constitutif de la méthode que nous avons adoptée. Cependant, ce concept englobe des contenus qui peuvent parfois être exclusive et d’autres fois complémentaires. Il est donc nécessaire de le définir ou du moins de le préciser. Avant cela, notons la définition que donne Gaston BACHELARD, cité par GEORGE GURVITCH, ([1]) à la dialectique ‘’comme procédé opératoire par lequel il s’agit dévoiler l’apparence d’une exclusion réciproque des termes contraires qui se révèlent à l’analyse dialectique comme des frères jumeaux, des doublets s’affirmant les uns en fonction des autres, ou du moins entrant dans le même ensemble’’
Si cette définition consacre la dialectique comme une méthode d’analyse et comme un mode opératoire, elle ne dit rein ni sur son contenu, ni sur les mécanismes qui sont à l’œuvre pour l’élaboration du rapport à la réalité.
Avant de préciser ce que nous entendons par dialectique, observons, par un balayage sommaire, que cette notion a connu une évolution, presque toujours vers un sens consacrant un rapport de plus en plus actif au réel et à la connaissance.
Depuis la conception de Platon (428aj-348aj) où la dialectique serait une monté ascendante vers l’être immuable qui se trouve dans le monde des idées. Cette montée est conçue comme pénible, très dure, sans l’aide des sens, car ils sont trompeurs et avec la raison seule. Elle est notamment illustrée dans le livre VII de la République. . L’existence même de son monde des idées induit une passivité qui doit conduire à la contemplation. Au même temps la vérité est conçue comme devant être absolue.
Plotin (205-270) va essayer de concilier l’immanence et la transcendance. Pour lui la finalité de la dialectique est d’élever le multiple à l’Un. PLOTIN pose l’Un comme premier principe ensuite vient l’être/l’intelligible puis l’âme pour enfin admettre la matière. Nous observons que Plotin introduit une composante, même inférieur, qui est la matière. C’est donc une plongé dans la réalité pour une monté vers l’Un. Dans cette logique on remonte d’unité en unité jusqu’au l’Un absolu. Par l’immanence, Plotin boucle la boucle en élaborant une dialectique descendante qui propose le chemin de descente de l’Un vers le multiple.
DAMASCUS (à la moitié VI siècle) se rendra compte du caractère infinie des champs de la connaissance et donc de la connaissance, ainsi il va introduire les prémices de la dialectique mystique négative. Pour lui la dialectique est une méthode qui ne conduit qu’à la connaissance du caractère inépuisable des sources de la connaissance où le réel va se révéler en définitif opaque. D’où, la méthode dialectique dans son effort ascendant et descendant ne peut que révéler l’impuissance devant ce qui est entièrement opaque. Par contre cette dialectique doit préparer à la voie la révélation et à la foi.
C’est donc une critique sévère à l’égard des deux conceptions précédentes, celle de Platon et celle de Plotin. Mais c’est la seule qui peut justifier l’attribution de la totalité des quantités à Dieu.
les conceptions de ces trois auteurs mettent en relief la finalité principale de la pensée qui était à cette époque centrée principalement sur la recherche de la vérité absolue conduisant à une connaissance absolue du cosmos et que cette connaissance ne peut être garantie, en quelque sorte, que par une entité transcendantale.
En rupture totale avec cette pensée, J.G. FICHTE (1762-1814) va concevoir la dialectique en tant que mouvement réel qui réside en premier lieu dans la société. Par l’introduction de son Moi-pratique, il va introduire un autre espace de la connaissance sous l’impulsion de l’être humain et social. C’est une indication vers l’empirisme dialectique.
Notons que Hegel (1770-1830) va opérer un retour vers la dialectique mystique de Plotin. En effet, chez Hegel et comme le dit Jean WALL ([2]) ‘’…Dieu est la première évidence parce qu’il a crée le monde, mais encore Dieu est en perpétuelle colère contre le monde qu’il a créé, et cette colère provoque un mouvement perpétuel dans le monde créé ; elle est à l’origine du drame du monde, de son histoire, car ce n’est qu’en revenant à Dieu que le monde créé, ainsi que les hommes qui y sont placés, apaisent « la colère de Dieu »’’
La finalité de tout mouvement dialectique n’est pour Hegel qu’un mouvement pour rejoindre « Dieu » . Mais, Hegel va surtout justifier sa conception de l’état et sa conception de l’histoire. Hegel conçoit sa démarche dialectique, dans laquelle la contradiction n’est pas ce qu’il faut éviter, comme moteur de la pensée au même temps qu’elle est moteur de l’histoire puisque selon lui l’histoire n’est qu’une pensée qui se réalise. Ainsi dans son exemple de l’épisode du maître et de l’esclave, la dialectique va aboutir à la réconciliation de la maîtrise et de la servitude.
Ainsi Marx va élaborer une critique très sévère de la dialectique de Hegel et notamment dans la critique de la philosophie de l’état de Hegel ([3]) et il va notamment selon la formule consacré renversé la dialectique Hegeliène pour substituer à l’idéalisme un réalisme matérialiste. Marx dit notamment que ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence mais c’est leur existence sociale qui détermine leur conscience.
Marx va donc transformer le matérialisme mécaniste, comme celui de Feuerbach. Il va le caractérisé par les lois suivantes :
- primat de l’histoire
- progression par contradiction résolues
- action réciproque de toutes les choses les unes sur les autres
- progrès par bonds, par crises, transformations soudaines et brusques, changement qualificatifs.
L’homme devient à la fois un effet et une cause.
Nous allons maintenant nous intéresser plus particulièrement à la dialectique chez Marx, car contrairement à ce que peuvent induire les expressions célèbres du ‘’ matérialisme économique’’ et ‘’matérialisme dialectique’’ et comme il affirme GEORGES GURVITCH ([4])‘’ ….ce à qui Marx, dans aucune des phases de son développement, n’a jamais pensé – mais surtout parce que, pour lui la dialectique se lie à la « pratique sociale », dans laquelle « le matérialisme et le spiritualisme perdent leur opposition », selon sa propre formule’’
Par ailleurs, Marx dit dans l’idéologie Allemande (vol. VI, p.164) ‘’la production des idées, des représentations, de la conscience est premier lieu immédiatement impliquée dans l’activité matérielle des hommes’’. Il ajoute aussi dans la Sainte famille (IIè vol, p.234 ) ‘’ si l’homme est formé par les circonstances, il faut former les circonstances humainement. Si l’homme est par nature, sociable, il ne développe sa véritable nature que dans la société’’. Nous voyons bien comment Marx rejette tout déterminisme trop strict et rigoureux. Il fait donc appel à l’homme et à la société en mouvement et en acte.
Cependant Marx a insisté et notamment dans LE CAPITAL sur les conditions économiques comme l’instrument par excellence de mise en œuvre des forces de domination et d’exploitation de l’homme par l’homme. L’analyse implacable du capitalisme et de des enjeux accompagnant son essore ainsi que la visibilité flagrante de l’exploitation par l’appropriation des moyens des production comme un moyen de détournement de la plus value au profit de l’accumulation ont conduit à certaine cristallisation sur les conditions économiques. Cependant, nous pensons que Marx met en relief toute la complexités résultantes des inter-actions d’une manière dialectique où seules l’action dans le mouvement produisent les principes, les idées et les catégories. A ce propos nous reproduirons la citation de Marx ([5]) ‘’ Les catégories économiques ne sont que les abstractions les expressions, les abstractions des rapports sociaux de la production …Les rapports sociaux déterminés sont aussi bien produits par les hommes que la toile, le lin, etc. Les mêmes hommes qui établissent les rapports sociaux conformément à leur productivité matérielle, produisent aussi les principes, les idées et les catégories, conformément à leurs rapports sociaux’’
A partir de cela nous voyons que la question du déterminisme est du même genre que celle de l’œuf et la poule. En effet, il y a bien un mouvement entre l’homme et ses potentialités d’une part et la société d’autre part ; entre les catégories économiques et les rapports sociaux. Toutes les parties de la globalité sont continuellement en interaction. Selon, les situations, les circonstances et les méthodes utilisées, on peut constater ici ou là la prévalence de l’une des parties.
Marx a effectivement tourné sa philosophie vers une action transformatrice de la société dont la finalité est celle d’aboutir à la libération de l’homme ayant comme idéal ou objectif une société communiste. Pour ce faire, il a décortiqué le système capitaliste en tant que système de domination, nous observons que cette analyse n’a rien perdu de son actualité.
Cependant, les évolutions socio-économiques introduisent et avec forces de la complexité dans toute approche et /ou tentative d’analyse d’une réalité donnée. Les transformations non seulement des processus d’accumulation mais aussi ceux des transferts des richesses, à la fois dans leurs natures mêmes mais aussi par leurs maquillages par des valeurs en flagrante contradiction avec ce qu’ils sont réellement, engendrent une opacité totale des forces qui sont à l’œuvres. Les processus de domination deviennent de moins en moins visible et revêtissent une nature de plus en plus complexe bien qu’elle soient toujours à l’œuvre et d’une manière encore plus intense. Ils se déploient masqués et habillés, ils sont soutenus par une force de conditionnement en usant de tous les artifices et toutes les manipulations possibles. Ainsi au nom de la liberté on prive l’être de sa liberté, au nom de la démocratie, on prive l’être de sa citoyenneté, au nom des performances économiques, on affames et on marginalise des franges entières de la population… etc. A ce propos ([6]) (..Où sont les philosophes qui firent la théorie de la misère, eux qui, après Proudhon et Marx, suivis par Simone Weil, ont fait de la condition des miséreux et des ouvriers un objet philosophique aussi digne politiquement que la question des droits de l’homme, du droit d’ingérence ou de la fin de l’histoire…-mon scandale majeur- est qu’il existe dans mon voisinage, dans le cadre d’une proximité douloureuse et quotidienne, un enfer dans lequel on entretient un certain nombre d’hommes, de femmes et par la même occasion d’enfants qui sont sacrifiés jour après jour …L’enfer dans lequel croupissent ceux qui nourrissent la machine sociale, ou qui ont été exclus par elle, comme les déjections d’un animal infect…. Je m’étonne encore et toujours du silence dans lequel souffrent ceux-là, de leurs sanglots contenus et de leur soumission aux nécessité brutales du système comme s’il n’était aucune alternative possible, ou qu’autre choses soit impensable, impossible, inconcevable.. ). Tel sont, l’équation et la problématique, voir même le défi lancés à toutes les forces transformatrices.
Cependant et bien que nous pensions que le marxisme demeure une méthode d’analyse pertinente, nous considérons que précisément c’est une méthode qui ne peut supporter aucun dogmatisme et de ce fait elle ne peut qu’être vivante. Elle demande donc à être enrichie, adaptées à ces transformations et à cette complexité de la réalité pour en avoir la représentation la plus exacte possible en franchissant les obstacles érigés en opacité en revisitant les rapports de domination dans les processus d’accumulation en général en non seulement l’intérieur de l’appareil de production.
DIALECTIQUE ET LIBERTE
Après avoir donnée un très bref aperçu sur l’évolution de ce concept qui est la dialectique, nous considérons que Marx a repositionné sa finalité et l’a tourné essentiellement vers l’action, une action transformatrice.
Cependant, Marx et du moins d’une manière apparente, a donné la priorité à la condition économique et aux rapports de domination et d’exploitation comme clé d’entrée prioritaire pour l’analyse des mécanismes qui sont l’œuvre.
Or, nous constatons jour après jour que la réalité est plus complexe, si les parties entretiennent un rapport dialectique, leurs hiérarchisations obéissent également à une mécanique complexe où le culturel se mêle au religieux, la représentation du passé se mêle à celles du présent et du futur .. etc.
Une situation pour illustrer cette complexité :
Cette situation est traduit en chiffres dans la revue Alternative économique N° 177 de janvier 2000 :
- 1,3 milliards de personnes sont sans eau potable
- 1,8 milliards sont dépourvues de services de soins médicaux
- 500 millions souffrent de sous alimentation
- 850 millions sont des analphabètes
- 100 millions d’enfants sont exploités
- 2,8 milliards vivent avec moins de deux dollars par jour dont 1,2 milliards avec moins d’un dollar par jour
- 34,5 millions de personnes au USA vivent sous le seuil de pauvreté
- 12 millions de démunis en Grande Bretagne
- 6 millions d’exclues en France
- 200 personnes détiennent 1000 milliards de dollars ce qui équivaut à 41% du revenu d’un tiers de la population mondiale c’est à dire que chacun d’entre elles possède le revenu annuel de 12 millions de personne.
- Les trois personnes les plus riches possèdent l’équivalent du PIB des 48 pays les plus pauvres
Nous n’allons pas nous attarder, du moins pour l’instant, ni sur la description des mécanismes qui sont à l’œuvre dans la production de cette situation, ni sur les antagonismes et/ou les complémentarités constitutifs du système. Contentons-nous de rappeler que dans cette situation et si on s’intéresse exclusivement aux antinomies, les intérêts des uns sont en conflits avec ceux des autres. Dans ces conditions et si en applique une mécanique dialectique centrée sur les antinomies, les conflits tendant à résoudre cette problématique vers plus de distribution devaient être à leurs apogées. Or, paradoxalement nous constatons que les conflits sont orientés vers d’autres directions et qui accentuent et servent une précisément cette domination. Comment se fait-il que ceux-là même qui subissent cette domination oeuvrent dans le sens de la renforcer ?.
Maintenant si on prend le cas des pays de l’ex bloque de l’Est, on peut penser que l’effondrement de ce bloque devait conduire à d’autres options que celles prises jusqu’à maintenant, les uns ont optés vers des régimes ultra-libéraux et les autres pour des régimes plus au moins théocratiques avec des doses oligarchiques ou l’inverse.
En même temps, les tentions et les conflits résultants de cette situation sont visibles tous les jours et ils se manifestent à chaque instant, mais nous avons l’impression que leurs façons de mises en œuvres sont souvent en décalage avec la résolution de la contradiction principale.
Prenant l’exemple de ces jeunes des quartiers défavorisés, marginalisés et stigmatisés du fait de leurs origines culturelles, sociales et /ou raciales, par leurs postures, la plus part renforcent cet état de fait. Les uns adoptent une attitude de renfermement culturel et/ou religieux, les autres dans des attitudes nihilistes dépourvues de tous sens et les autres dans des attitudes fatalistes refusant toutes actions et/ou réaction.
Normalement, selon une dialectique étroite centrée sur les pôles constitutifs de l’antinomie, ces jeunes sont les plus aptes à s’organiser, à repérer la contradiction principale, à élaborer et orienter l’action vers la constitution d’un rapport de force leur permettant de devenir des acteurs. Mais, non seulement il en est rien, mais au contraire ils sont dans une certaine mesure la proie de toutes sortes de réseaux qui leur proposent une perspective qui va à l’encontre résolution de la problématique.
Certes, on est tenté de soulever le problème de la conscientisation comme explication. Je pense que cette vision trouve une certaine limite. D’abord parce qu’elle induit en elle-même une autre dimension qui est le rapport même de l’être ou du groupe à la réalité, la deuxième limite réside dans le fait que la contradiction principale peut devenir secondaire par un jeu de transformation lié à la nécessité de survie en tant qu’identité dans le sens de RENAU SAINSAULIEU([7]) : le concept de l'identité recouvre ce champ de rapports humains où le sujet s'efforce d'opérer une synthèse entre les forces internes et les forces externes de son action, entre ce qu'il est pour lui et ce qu'il est pour les autres". Nous suggérons, volontairement, qu’il faut opérer ici une extension du mot sujet pour lui faire supporter le groupe et/ou la catégorie. Ainsi nous allons désormais parler du L’ETRE.
Il ne s’agit pas ici d’une quelconque forme de ‘’psychologisation’’ qui consiste à établir une quelconque détermination ôtant à l’ ETRE toute liberté en le rendant prisonnier de son histoire. Au contraire nous cherchons à consacrer cet espace d’autonomie et qui à notre sens fonde ce qui fait l’humain. Il n’est pas dans notre but de nier les antagonismes absolument incontestables et dont les forces sont à l’œuvre pour finalement constituer le mouvement. Il ne s’agit pas non plus de nier toutes les contingences auxquelles les humains sont soumis. Nous cherchons seulement à savoir comment peut-on nous approcher d’une compréhension qui peut tenir compte de la globalité de ce qui en jeu.
Avant d’aller plus loin dans la réflexion prenons acte des considérations suivantes :
- l’être humain devient un être social et cultive son humanité dans ses rapports à ses semblables,
- l’humain est doué de cette potentialité d’entretenir un rapport conscient au monde et à la réalité,
- pour entretenir un rapport conscient au monde, l’humain est doué de cette capacité de s’extraire intellectuellement d’une réalité donnée pour pouvoir la penser. Il est donc doué de pouvoir se penser lui même .
Nous disons d’abord qu’une réalité sociale, en tant que totalité, existe en soi et elle est continuellement en mouvement, une réalité simple donnée, qui, elle, ne peut être qu’une partie de la totalité, a des chances de se présenter de la même manière à tout un chacun. On peut en extraire des caractéristiques. Mais la connaissance approfondie de telle ou telle réalité, en tant que totalité, ne peut se faire sans mettre en lien toutes les parties. Cette opération demande un effort considérable et elle demeure toujours inachevée. La difficulté réside souvent dans la mise en rapport de tous les éléments connus d’une réalité donnée. Cette mise en rapport passera nécessairement par une abstraction où l’action du ETRE sur la mise en rapport des éléments va être déterminante dans l’élaboration du sens qui, lui même, va déterminer le rapport de l‘ETRE à la réalité.
Or, de la mise en rapport des éléments connus d’une réalité et de l’action nécessaire de les hiérarchiser va naître la représentation de cette réalité.
Maintenant, il faut se poser la question de savoir si cette action de hiérarchiser est totalement autonome et donc, elle-même, indépendante de toute autre action ?
Le ETRE entretient rapport avec tous les éléments antagoniques et/ou complémentaires d’une réalité, de plus, l’ETRE se trouve au carrefour de différentes tensions, d’une manière permanente et dont on peut citer :
- les tentions entre ce qu’il est pour lui-même et ce qu’il est pour les autres,
- les tensions entre son passé, son présent et son future,
- les tentions entre l’ETRE, son rapport au monde et les besoins de la survie,
Or, ces éléments sont eux-mêmes en perpétuelle interaction avec les éléments de la réalité.
Si on peut définir une réalité par ses pôles et par leurs interactions , nous pouvons schématiser notre conception en limitant, pour le besoin de l’illustration, le nombre des pôles à deux, comme suit :
Comme nous l’avons suggéré, le rapport à la réalité procède d’une opération complexe où le ETRE opère son action de hiérarchisation, qui par la suite, va lui forger une représentation de cette réalité. C’est précisément cette opération qui fonde les diversités des rapports entretenus à la réalité. Mais il ne faut pas lire dans nos propos que toutes les représentations se valent, nous disons simplement que les éléments qui entrent en compte et bien que le ETRE soit soumis à des tentions diverses et variées, ce dernier use d’une action propre à lui et qui entre en compte dans la structuration de son rapport à la réalité.
Aussi, l’ETRE est à la fois en rapport dialectique et, d’une manière simultané, avec tous les pôles (donnés) constitutifs de la réalité. Mais ces rapports ne suffisent pas à élaborer une représentation, l’ETRE va faire intervenir d’autres éléments qui lui sont propres, mais qui sont forgés à partir d’autres éléments qui sont extérieurs à la réalité en soi, et qui lui sont propre. La représentation que le ETRE va se forger d’une réalité donnée va à son tour devenir un des éléments structurant du ETRE.
En résumé, c’est donc un mouvement dialectique structuré autour de trois catégories de mouvement inséparables:
- entre les pôles constitutifs de la réalité qui existe en soi et dont l’ETRE fait partie,
- de cette capacité de l’ETRE à s’extraire intellectuellement d’une réalité donnée pour pouvoir la penser, il va entretenir des rapports dialectiques et simultanément avec tous les pôles cette réalité.
- l’action propre à l’ETRE pour la mise en lien qui va lui forger une représentation qui elle même va entrer en rapport avec l’action propre à l’ETRE.
Observons que lorsqu’on rapporte l’ETRE à l’individu, les deux derniers mouvements font intervenir les potentialités/capacités de l’être humain à penser et à connaître. Cependant, nous n’allons pas développer leurs modes opératoires, car toutes nos tentatives n’ont pas dépassé le stade de spéculation.
Désormais, nous allons appelé ce système gouverné par une triple catégories d’actions dialectiques une TRIALECTIQUE.
En résumé et comme nous l’avons suggéré plus haut, nous nous sommes nourris de la dialectique chez Marx, mais nous avons voulu consacrer cet espace d’action de l’ETRE qui obéit à une logique très complexe, car c’est là où se cristallise une synthèse (elle même élastique) de tous les mouvements. L’action de l’ETRE, lors de cette cristallisation, forge une certaine représentation de la réalité et donc une certaine idée de celle-ci qui fonde le sens et ensuite, guide l’action.
A partir de cette vision que nous avons du rapport de l’ETRE à la réalité, nous pouvons esquisser une idée possible de l’humain.
UNE IDEE POSSIBLE DE L’HUMAIN
Tout au long de l’Histoire Humaine, les idées que nous nous sommes faites de l’humain ont été diverses et variées et leurs implications ont été déterminantes dans la construction des organisations sociales, économiques et politiques que l’humain s’est donnés. En effet, n’existait t-il pas des Humains qui se représentaient les divinités sur terre avec tous ce que ceci implique ?. L’esclavage n’était-il admis dans diverses période de l’Histoire ?. N’existait-il pas un temps où l’homme ne se définissait que par sa croyance ?. L’église ne s’est-elle pas demandée si les Indiens d’Amérique étaient des êtres humains ou non ?. Avant l’islam, les arabes n’enteraient-ils pas les petites filles vivantes ?. Combien sont-ils, ceux qui ont tenté de justifier le colonialisme par l’œuvre de charité qui consiste à ‘’civiliser’’ les indigènes ?. les histoires de la création affirmée et de diverses manières par les textes dits sacrés des grandes relégions n’ont-elles pas donné des assises à l’affirmation de supériorité des communautés des adeptes. Les idées Nazis et celles des fascistes ne procèdent-elles pas par l’affirmation de l’idée de race et donc la possibilité d’établire une relation d’ordre à l’intérieur d’un prétendu système de race ? Aujourd’hui même, n’existe t-il pas des personnes qui se prévalent d’une nature supérieure pour commettre des crimes racistes et ces autres qui au nom d’un dieu considèrent qu’ils ont le droit d’ôter la vie aux ‘’mécréants’’ ? N’existent-il pas des êtres humains qui meurent de faim au nom des mécanismes établis, au nom d’une présupposée nécessité économique, appelée lois économiques ?
Il ne peut exister une idée ou une pensée isolée, c’est à dire en dehors d’abord de ETRE qui la pense et en dehors du sens qu’elle porte. A partir de ce moment là, on peut convenir qu’une idée ou une pensée ne peut se fabriquer de rien, elles ont besoin d’être alimenté par l’expérience([8]). Le rapport propre de l’ETRE, d’une manière singulière, à ses interactions constitue cet espace à la fois d’autonomie mais aussi d’interdépendance dont l’ETRE peut jouire et en user plus ou moins fructueusement. A ce stade, tout cela apparaît comme un mécanisme naturel, mais ce n’est qu’une apparence, car l’exigence et la manière dont L’ETRE entretient son propre rapport à toutes les interactions auxquelles il est exposé, vont déterminer le reste et c’est son propre espace de liberté. Si l’ETRE n’est pas vigilant à la nature des informations qu’il reçoit, surtout à toutes les nouvelles informations et si il ne fait pas l’effort de vérifier la pertinence , il sera inéluctablement exposé à l’erreur, sans même le savoir. L’espace d’autonomie et d’interdépendance est le lieu où la personne compile toutes les idées et de cette compilation naissent d’autres qui lui sont propres. Si une idée contaminée se trouve parmi les autres compilées, le système sera contaminé et les idées naissantes ont une chance de n’être que des croyances. C’est pour cette raison qu’un esprit nourrit par et éduqué à la critique constitue est posture nécessaire à la liberté. Cependant, il faut toujours considérer les choses dans leur vérité relative. Cela veut dire que le vrai ne peut l’être qu’au regard d’un état de connaissance. Cette posture est importante car elle permet d’entretenir une certaine curiosité, un esprit d’ouverture et de s’éloigner d’une position dogmatique.
Nous allons désormais considérer comme acquis, le fait que l’humanité est en perpétuelle construction, certes forgée dans la douleur, car c’est une construction animée par de nombreux mouvements. En fait, les forces qui sont en œuvre dans le présent, sont le prolongement de l’œuvre du passé et le présent va devenir du passé.
Cependant, la détermination des mouvements qui leurs sont attribués obéissent à une dialectique complexe où toutes les natures des rapports humains interviennent et dont la prévalence, des uns par rapport aux autres, est en mouvement permanent. La deuxième chose qu’on peut considérer comme acquise, c’est la quête incessante et constante de l’humain à préserver et/ou à conquérir sa dignité et son intégrité, cette quête est constamment activée par l’absolue de la vérité suivante : tous les êtres humains, dans leurs essences et dans ce qui constitue leur humanité, sont égaux.
Mais cette notion de dignité est complexe à définir car elle porte en elle même une part de subjectivité. Cette subjectivité, elle même est liée à une autre notion qui est l’identité, notion purement subjective, car elle recouvre la synthèse entre ce que l’ETRE pense être pour lui, et ce qu’il est pour les autres. Elle repose donc à la fois sur une appréciation subjective ‘’ce qu’il pense être pour lui’’ et un autre élément objectif, car mesurable et reposant sur des faits ’’ce qu’il est pour les autres’’. Si la synthèse que doit opérer l’ETRE repose sur un déséquilibre important alors on est devant une problématique importante où le rapport à l’autre, ainsi que la considération de l’autre n’ait basée que sur la résolution de cette problématique dans le sens d’affirmer son existence face à l’autre.
Pour un ETRE, il ne lui suffit pas d’exister en chaire et en os mais faut-il encore qu’il soit considérer par les autres non seulement en tant qu’être mais aussi en tant qu’humain reconnu tel quel et donc égal, dans son essence, à tous les autres et donc de part ce qu’il est et ce indépendamment de ce qu’il fait, de ce qu’il pense et de sa condition économique et/ou sociale. Dans le cas contraire, ça serait la négation de l’ETRE.
Revenons à ce concept de dignité. Nous avons vu l’importance de cette notion qui est l’identité dans les rapports entre les humains. Nous avons aussi mesurer l’importance de considérer tous les êtres comme étant égaux dans leurs essence. Mais cette égalité passe nécessairement, par la traduction de cette égalité en acte mais, aussi de par sa perception par chacun. Or cette traduction en acte passe d’abord par la satisfaction des besoin élémentaires de chacun. Qu’aucune personne ne soit obligée de poser un acte en totale contradiction avec sa conscience par la nécessité de se nourrir, de se loger, de travailler, d’épargner des sévices à son corps ….
On peut donc définir la dignité comme un espace où la personne n’aura jamais le sentiment d’être niée dans ce qu’il est fondamentalement et dans lequel ne sera jamais amené à négocier ce qu’il considère comme sa substance tenant à ce qu’il le constitue en tant qu’entité.
Or pour dépasser l’aspect subjectif pour appréhender cette notion de dignité, faisant un raisonnement par l’absurde en nous posant la question suivante : dans quelle condition, va t-on estimer, ne serait ce qu’un infiniment petit, que notre ‘’essence humain’’ serait nié ? La réponse à cette question va définir par défaut cet espace. Elle va définir cet espace, car son socle est basé sur une histoire fondatrice de l’Humanité commune et ce, quelles que soient les différences existantes par ailleurs et qui sont essentiellement liées à des constructions historiques dans leurs sens le plus large possible.
La dignité ne peut se concevoir sans une conscience de soi et des autres. Le tout constitue un système dont les parties ne peuvent être séparées. Or cette conscience des autres peut prendre différentes formes positives et ou négatives selon la représentation qu’on a de l’autre dans notre rapport à lui. La qualification de l’autre dans son aspect le plus formel ne peut pas sortir cette relation entre l’ETRE et le Monde en tant que réalité sociale dans sa totalité.
Selon cette articulation l’ETRE ne peut être ni bon, ni mauvais. L’ETRE ne peut donc être un ETRE morale. L’ETRE est avant tout SOCIALE. Cependant la représentation de l’ETRE du bien et du mal est conçu dans cette sphère d’ajustement identitaire : ce que je suis pour moi et ce que je suis pour les autres. Or, cet ajustement est lui même dialectisé, il est donc en perpétuel mouvement.
Dans cette perspective l’ETRE ne peut assurer les conditions nécessaires à sa non destruction que par l’action dans l’interdépendance, mais cette action peut conduire aussi à son anéantissement si elle n’est pas orientée convenablement.
LES SOURCES DE L’EGALITE FORMELLE
Comme nous l’avons exposé plus haut l’ETRE n’est pas doté naturellement d’une structure morale qui lui dicte le bien et ou le mal. Ces notions sont forgées en premier lieu dans les rapports qu’il entretient aux autres et à la représentation qu’il se fait d’une réalité donnée. Dans ces conditions le bien ou le mal ne peuvent être que des catégories élastiques forgées dans ce que nous avons appelé trialectique.
S’il n’y a de scandale majeur que celui de voir les forces de domination se déployer sans aucune autre considération que celle d’en optimiser les instruments et les mécanismes et au mépris du sort de la majorité des humains au point de les ramener au niveau des mammifères inférieurs occupés seulement à trouver les moyens de satisfaire les besoins alimentaires et donc élémentaires d’un corps meurtri, soufrant de toutes sortes de maladies et portant les stigmates de cette situation. Comment ces damnés de la terre peuvent accéder au savoir, acquérir les moyens leurs permettant penser leurs situations, comment peuvent-ils appréhender une telle complexité de la réalité de nos jours, que signifie dans ces conditions des mots comme celui de la dignité et encore moins celui de la liberté ? Comment peuvent-ils lutter contre ce conditionnement de la pensé mis à l’œuvre en permanence, dans chaque lieu et à tout instant et sans répit?. La force de ce conditionnement réside dans le fait de faire croire à chaque ETRE que, pour lui, demain sera meilleur et que les choses ne peuvent être qu’ainsi et donc à quoi bon essayer d’agir pour changer les choses !.
Dans ces conditions, il nous semble nécessaire de re-légitimer l’action et la lutte en leur donnant une assise qui trouve sa source dans l’essence même de l’humain et de l’humanité et non dans ce qui est. Il nous semble qu’il est impératif de rejeter l’idée qui tend à justifier ce qui est en le présentant comme une nécessité.
L’assise que nous voulons donner à cette lutte ne peut procéder non plus de la morale, car cette dernière est une structure élastique. Nous voulons donc trouver cette assise dans des principes basés sur l’essence même de l’ETRE dans le monde. La synthèse de ces principes étant l’EGALITE FORMELLE.
D’une manière concrète, l’élaboration de la déclaration universelle des droits de l’homme, les droits de l’enfant, la notion d’autodétermination des peuples, la coure pénale internationale … etc procède, à notre avis, de la mise en pratique de cette notion de l’égalité formelle. De son côté l’universalisme procède de cette égalité formelle. La morale de Kant en est une parfaite illustration :([9])’’… je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi universelle.’’ Mais, nous cherchons à faire sortir l’universalisme du seul cadre morale, pour qu’il devienne l’un des pôles et le plus stable, constitutif de la réalité et de ce fait producteur de normes. Le cadre de la morale par son élasticité ne garantie nullement la protection des plus faibles.
MONTESQUIEU dans le ‘’LIVRE PREMIER, des lois en général ‘’ nous indique que ([10]) ‘’Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois, la divinité a ses lois, le monde matériel a ses lois, les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l’homme a ses lois’’ Selon cette signification des lois et par extension du droit, l’égalité entre tous les hommes ne peut être sous tendue que par la propre nature de l’homme prise à la fois dans son rapport au monde et aussi dans les rapport entres les humains.
Si on considère que l’existence de l’humain en tant qu’espèce, n’est que le produit des lois naturelles, qui n’obéissent qu’à leurs propres déterminations dans des interactions constitutives du mouvement, on peut dire que l’existence de chaque être humain n’est que le produit du hasard. Ce hasard est le fruit d’un nombre de déterminations où l’action de cet être en soi n’a aucune existence puisque lui-même n’existait pas. D’où l’annonce de ce premier principe : aucun être humain n’a pu choisir à son commencement d’être ou de ne pas être. La conséquence immédiate qu’on peut tirer de ce principe c’est une égalité absolue devant la vie et de ce fait le droit de chacun à la vie comme un droit absolue et qui ne peut être subordonné à aucune autre notion.
L’être humain naît doué d’un certain nombre de potentialités qui constituent son essens et qui le différencient de tous les autres êtres. Ces potentialités développées lui permettent d’avoir conscience de lui même, de son rapport au monde et aux autres. L’être est donc un devenir. Mais, les conditions de son devenir se forgent au sein de ce que nous avons appelé trialectique où l’ensemble des catégories de mouvements sont en jeu. Or, dans cette perspective, l’être humain nouvellement existant ne peut se donner lui même les conditions optimum de son développement et donc de son devenir car ce développement se fait dans ses interactions avec la réalité dans laquelle il évolue. Si on considère ensuite que l’humanité est une construction continue et dont les générations et les êtres en générale sont à la fois l’instrument et la finalité, nous pouvons annoncer le deuxième principe au nom de cette continuité : L’humanité est une totalité qui se reflète dans chaque être. Elle doit offrir à chacun les conditions optimales de son développement en tant qu’être digne, libre et responsable. (libre car responsable et responsable parce que libre).
Or, la mise en pratique de ce principe nécessite la mise à disposition de nombreux moyens qui relèvent de la responsabilité de tous. Mais, nous relevons une première inégalité naturelle de répartition de bon nombre de ces moyens liée à la position géographique, au climat, au ressources naturelles .. etc. La mise en application du principe cité plus haut nécessite la mise en commun de tous les moyens pour corriger cette inégalité naturelle. Cette nécessité est fondée sur un troisième principe : la terre est la patrie de tous. La conséquence immédiate de ce principe implique donc l’orientation de l’utilisation des ressources disponibles pour offrir à chacun les mêmes possibilités et lui garantir son droit absolu à la vie et les conditions optimum de son développement.
Il ne s’agit plus d’une quelconque solidarité qui elle, procède de la morale, mais il s’agit de consacrer cette égalité formelle dans le sens où aucun n’a pas plus de droit pour disposer du bien commun.
Cette conception de l’égalité formelle est rendue possible par les progrès réalisés par l’humanité et au fil de l’histoire et qui offrent des repères spatiaux /temporels consacrant une interdépendance de plus en plus aiguë.
Maintenant si nous reprenons la citation de MONTESQUIEU ‘’… le monde matériel a ses lois ..’’ , nous ne pouvons que comprendre que les lois du monde matériel existent en soi et même avant l’existence de l’humain. Cette proposition, nous conduit à considérer le patrimoine scientifique et technologique comme celui de l’humanité. Nous abordons cette question ici, car la mise en pratique de la notion de l’égalité formelle lui est partiellement liée.
En effet, les représentations des lois du monde matériel par l’humain sont en construction permanente et ce depuis que l’homme existe. Les générations se succèdent, les uns bâtissent en se servant des savoirs des autres. Or, ces connaissances des lois du monde matériel sont la source du progrès scientifique et technique qui ne peut échapper à la mise en pratique de l’égalité formelle. Si on prend donc ces deux considérations à savoir, que les lois du monde matériel existent en soi et que, leurs représentations par l’humain est le fruit d’un labeur constant et incessant de l’humanité, la finalité de ces savoirs ne doit être rien d’autre que celui de favoriser la mise en pratique de cette égalité formelle. Il est donc, urgent de trouver des mécanismes qui orientent l’utilisation de ces savoirs en faveur de l’humanité et non contre elle.
Nous considérons que les fondements de l’égalité formelle trouvent leurs sources dans ce qui est l’humain, lequel est interdépendant de tous les autres, en sommes de l’humanité dont il fait partie, mais dont il est aussi l’un des architectes.
Nous pensons que cette façon de considérer l’humain met la société en acte et en action et légitime toutes les luttes qui vont dans ce sens. Elle introduit aussi la négation d’une quelconque fatalité ou nécessité. D’où l’impératif de situer toute action dans une échelle de temps plus large que celle d’un ETRE.
Si nous considérons l’humanité à la fois comme moyen et en même temps comme finalité, nous ne pouvons ignorer de ce fait que sa condition doit être le centre de toute préoccupation et /ou activité. En effet, l’humanité est un moyen, car l’humain ne peut se concevoir en son extérieur. Il ne peut développer ses potentialités que par les interactions dans le système que nous avons appelé trialectique. De même que l’humanité n’est en mouvement que par l’action de l’ETRE. Dans ces conditions, la participation à la construction de cet édifice qui ne sera jamais achevé devient une finalité en soi.
Il n’est pas question pour nous, ici, de considérer une quelconque perspective linéaire de l’histoire dont la fin serait la consécration de cette égalité formelle, notre but est surtout celui de rejeter toute notion de nécessité dans l’histoire. La notion de l’égalité formelle ouvre sur une possibilité dont les conditions de réalisation demeurent aussi incertaines que celles des résolutions des antagonismes en relation avec les rapports de forces qui sont à l’œuvre.
En définitif, nous voulons dire que les fondements d’une telle perspective n’ont rien d’absurde, mais que les conditions de réalisation vont être soumises à l’épreuve de la complexité trialectique.
La mise en œuvre des mécanismes qui encadrent les rapports sociaux y compris ceux instituant la domination passe nécessairement par la politique. Dans ce qui va suivre, nous allons donc nous attacher à élaborer une certaine idée de la politique, mais nous nous voyons dans l’obligation de faire une critique de la conception dominante ce celle-ci.
DE LA DEMOCRATIE
A LA DEMOCRATURE
Dans ce qui a précédé, nous avons stigmatisé la situation actuelle et ses conséquences et nous avons également fustigé la manière de présenter une telle réalité en tant que nécessité et sans en faire la démonstration. Pour remédier à cette lacune nous allons nous intéresser à la place de l’humain dans un système planétaire qui se présente comme une nécessité. Nous allons voir par la suite comment la conception actuelle de la politique glisse vers un instrument de justification qui n’a de but que celui de reproduire les mécanismes de dominations
Nous allons d’abord, revisiter la notion de l’esclavage chez Aristote en essayant de la confronter à la notion de la force de travail chez Marx. En effet, Aristote ([11]), dans le livre I, divise l’économie en branches d’activités, chacune d’entres elles ayant besoin d’instruments dont les uns sont animés et les autres sont inanimés. Il range l’esclave parmi les objets de propriété animés et le définit par la suite, comme un instrument ordonné à l’action et séparable. Pour avoir la vue la plus juste (dit-il), Aristote essaye de déterminer la nature des choses, pour lui la nature d’une chose réside dans sa fin, une fois sa croissance achevée. Ainsi, cette démarche ne peut conduire Aristote qu’à une description de ce qui est. Car la croissance achevée a de forte chance de s’assimiler à son présent. Mais, nous n’allons pas nous attarder sur les tentatives d’Aristote qui tente de justifier l’esclavage avec lesquelles Marx ne peut être d’accord. Ce qui nous intéresse ici, c’est la finalité du phénomène. Nous n’allons nous intéresser à l’esclave qu’en tant qu’un instrument animé ordonné à l’action et donc en tant qu’objet de propriété.
L’esclave est un être humain qui appartient au maître mais qui ne s’appartient pas. Il appartient au maître, non par sa nature, mais surtout par son ordonnancement à l’action en tant qu’instrument d’activité animé et donc en tant que force de travail. Observons, qu’Aristote, dans son exposé, relate un débat contradictoire concernant les fondements même de l’esclavage.
De ce point de vue on peut faire un rapprochement entre Aristote et Marx. En effet, ce dernier, définit la force de travail comme la capacité du travail, qui seule, peut être l’objet d’une vente pour le travailleur et d’un achat par le capitaliste. Pour ce dernier, elle a la caractéristique constitutive de sa finalité, c’est à dire, celle de créer davantage de valeur que son coût. On peut dire également que la force de travail est un instrument d’activité animé qu’il faut donc entretenir. Dans ces conditions, le salaire peut s’apparenter aux obligations du maître pour entretenir l’esclave. Nous considérons donc que ce sont les formes d’esclavage qui ont changé et non sa propre nature.
Aristote établi une analogie entre l’administration domestique et celle de la cité. L’esclavage était cantonné dans la sphère domestique. La relation était directe entre le maître et l’esclave puisque l’esclave était un instrument directement dans les mains du maître. Cette configuration a totalement évoluée vers une dépersonnalisation de plus en plus accrue. Le maître devient de plus en plus invisible se cachant derrière une entité autonome. Cette entité se présente comme fonctionnant par elle même et pour elle même. De ce fait, elle donne l’illusion qu’il n’y a plus ni maître, ni esclave.
Or, on peut nous objecter que le vendeur de sa force de travail est libre et qu’il s’apparient à lui même. Effectivement, Marx introduit une distinction dans le sens où la force de travail est vendue pour un temps déterminé et que l’esclave, lui, la vend en bloc et une fois pour toute. Pou autant, nous considérons que les conditions de vente où le vendeur et pour des impératifs de survie condamné à vendre sa force de travail. Cette vente se pratique dans les conditions fixées par le marché. La liberté du vendeur se trouve ainsi sacrifiée sur l’autel de la nécessité, car la force de travail exige constamment des moyens pour sa reproduction. De ce point de vue le vendeur se trouve en état d’esclavage non seulement pendant la durée pour laquelle il a vendu sa force de travail, mais aussi en son dehors, car ses propres besoins de survie se trouvent transformés en une nécessité de vente. Cependant, nous allons voir la suite comment l’illusion de la liberté verse dans la servitude, plus que la privation de liberté verse dans l’esclavage.
Cependant, nous constatons une autre forme d’esclavage où l’esclave n’est définit ni par sa force de travail, ni par le fait qu’il soit un instrument ordonné à l’action. Dans cette forme, l’esclavage n’est constituée que par la négation de sa force de travail et donc celle de l’ordonnancement à l’action. Le fait même d’exister avec ces capacités dont-il peut user virtuellement suffit à faire de lui un esclave, non par l’achat de sa force de travail, ni par son ordonnancement à l’action, mais seulement parce que sa propre existence constitue en soi non seulement une force de pression, mais aussi une base d’expansion. En effet, leur existence même et dans cette état de fait constitue en soi un instrument. Je pense à ces humains ramenés au niveau des mammifères inférieurs occupés seulement à trouver les moyens de satisfaire les besoins alimentaires et donc élémentaires d’un corps meurtri, soufrant de toutes sortes de maladies et portant les stigmates de leurs conditions. Marx n’a pas suffisamment considéré ces damnés de la terre alors qu’ils sont de plus nombreux, mis au bord de la société et parfois même de au bord de l’humanité par un capitalisme sauvage et pour qui l’humain n’est qu’un instrument et non pas une finalité.
Nous allons donc retenir que l’esclavage moderne n’est rein d’autre que de considérer l’humain qu’en tant qu’être doué potentiellement de force de production susceptible de générer, lorsqu’elle est utiliser, de la plus value comme moyen d’accumulation, qu’en tant que force de pression sur le marché lorsque cette force n’est pas utilisée et qu’en tant que moyen d’expansion dans les deux cas. Les formes d’esclavage sont de plus en plus variées suivant ainsi les l’évolutions des rapports socioéconomiques. La productions des biens n’est plus le seul levier d’accumulation. La technicisation a modifié les rapports à la production et a œuvré vers la marginalisation d’une large frange de la population. La représentation de la notion du travail est entrain d’évoluer. Les services et les finances sont devenus des leviers aussi important si non plus que le travail dans les processus d’accumulation. Ainsi, si dans le fond l’analyse de Marx des mécanismes qui à l’œuvre dans le capitalisme demeure d’une pertinence inégalée, les places et les acteurs ont évolué et c’est pourquoi il faut redéfinir les mécanismes actuels, qui sont à l’œuvre dans la reproduction des rapports sociaux.
A partir de ce que nous avons développé plus haut, il est claire que nous considérons que le capitalisme réduit l’humain à l’état d’esclave. Mais nous allons maintenant essayer de savoir comment une réalité d’esclavage peut-elle se transformer en un sentiment de liberté ?
Avant de poursuivre notre analyse, nous allons raconter une petite histoire à tous ces capitalistes pour qui l’humain n’est qu’une marchandise et à tous ces politiciens, analystes, spécialistes et intellectuels qui s’acharnent à nous expliquer tous les jours, dans tous les lieux et à chaque instant le bien fondé du libéralisme et qui est synonyme de la liberté, du bonheur pour tous et favorisant l’épanouissement de chacun. Son auteur, Marcos l’a appelé ‘’L’autre joueur’’([12]) . ‘’ Un groupe de joueurs est plongé dans une très importante partie d’échec de haute école. Un indigène s’approche, observe et demande : A quoi jouez vous ? Nul ne lui répond. L’indigène se rapproche de l’échiquier, contemple la position des pièces, le visage grave et concentré des joueurs, l’attitude curieuse de ceux qui les entourent. Il repose la question. A quoi jouez-vous ? L’un des joueurs prend la peine de lui répondre : Tu ne pourrais pas comprendre. C’est un jeu pour personnes importantes et savantes. L’indigène reste silencieux et continue d’observer l’échiquier et les mouvements des adversaires. Au bout d’un certain temps, il ose une nouvelle question : Et pourquoi jouez-vous si vous ignorer qui va gagner ? Le même joueur qui lui avait répondu lui dit : Tu ne peux pas comprendre. C’est une affaire de spécialiste. Cela dépasse ton entendement. L’indigène ne dit rien. Il continue de regarder puis s’en va. Au bout d’un moment, il revient en portant quelque chose. Sans dire un mot, il s’approche de la table du jeu et dépose au milieu de l’échiquier une vieille botte pleine de boue. Les joueurs sont déconcertés et le regardent avec colère. L’indigène sourit malicieusement et demande : Echec ? Fin de cette petite histoire.
La clé de cette histoire n’est pas la botte qui a subverti et interrompu la partie d’échec médiatique et politique des seigneurs du pouvoir et de l’argent et le jeu de ceux qui ont fait de la politique un art de simulation et de tromperie. Non la clé de cette histoire est le sourire de l’indigène qui, lui, sait que la partie n’est pas finie et qu’elle ne fait que commencer. Il sait que c’est une partie qui se joue avec un joueur manquant. Ce joueur qui manque c’est lui. Il le sait non pas parce qu’il le sait, mais il le sait parce qu’il rêve, dit Marcos.
Une fois cette colère, face à ce scandale majeur, s’est exprimée, reprenons le fil de notre analyse. Pour, ce faire rappelons le système que nous avons appelé trialectique : En résumé, c’est un mouvement dialectique structuré autour de trois catégories de mouvement :
- entre les pôles constitutifs de la réalité qui existe en soi et dont l’ETRE fait partie,
- de cette capacité de l’ETRE à s’extraire intellectuellement d’une réalité donnée pour pouvoir la penser, il va entretenir des rapports dialectiques et simultanément avec tous les pôles cette réalité.
- l’action propre à l’ETRE pour la mise en lien qui va lui forger une représentation qui elle même va entrer en rapport avec l’action propre à l’ETRE.
Pour appréhender la notion de l’esclavage, nous avons user de notre faculté de s’extraire intellectuellement de la réalité pour pouvoir la penser. De plus, nous avons actionner notre propre capacité pour la mise en lien de tous les interactions entres les pôles constitutifs de la réalité. Ainsi, nous nous sommes forgés une représentation de cette même réalité. Il en est de même pour chaque ETRE. Mais nous avons dit également que ces actions sont soumises à des déterminations qui se trouvent au carrefour de différentes tensions auxquelles l’ETRE est soumis, d’une manière permanente et dont on peut citer :
- les tentions entre ce qu’il est pour lui-même et ce qu’il est pour les autres,
- les tensions entre son passé, son présent et son future,
- les tentions entre l’ETRE, son rapport au monde et les besoins de la survie,
Or, l’illusion peut naître de la manière dont l’ETRE va pouvoir se situer faces ces tentions. Les forces de domination orientent ces tensions de manière à maintenir l’état de fait. Mais, pour décrire précisément les mécanismes qui sont à l’œuvre, il y a lieu de faire une analyse précise de l’impacte de bon nombre de supra-structures. Ici, nous allons nous contenter d’orienter la réflexion en dégageant quelques éléments majeurs. Avant cela, nous reprenons à notre compte, pour mettre en relief le poids des supra-structures, le constat suivant de C. WRITE MILLS ([13]) ‘’ ..le plus grand péril de l’homme réside dans les forces désordonnées de la société contemporaine elle-même, l’aliénation qu’entraînent ses méthodes de production, ses techniques enveloppantes de domination politique, son anarchie internationale – en un mot comme en cent, dans les transformations tentaculaires qu’elle fait subir à la « nature » de l’homme, aux conditions et aux objectifs de sa vie’’.
Nous allons donc focaliser notre attention sur les éléments que nous considérons comme majeurs dans les déterminations entrant en jeu dans l’appréhension de la réalité :
L’ETRE va considérer son futur en fonction de nombreux paramètres à savoir la représentation qu’il se fait du passé, celle qu’il se fait du présent et le rêve qu’il l’habite. Or ces représentations vont rendre le temps élastiques et le temps futur ne sera pas le même pour chaque ETRE. Ainsi la représentation du temps futur va osciller entre immédiatement après le présent et une échelle plus large qui celle des générations voir celle de l’humanité. Rêve t-on pour demain de soi, pour demain de ses enfants et/ou pour demain de l’humanité ? Or, la notion du temps futur se trouve de plus en plus étroite, voir même réduite au néant autant que l’ETRE ne soit réduit à satisfaire ses besoins vitaux. Or, dans ce registre le capitalisme s’emploie à cantonner le rêve dans une sphère strictement privé, à le personnaliser et à le mettre en concurrence avec celui des autres. Ainsi, les uns sont affamés, les autres vont être réduit au statut de consommateurs, pour eux le rêve va se réduire à l’attente de promotion. Mais, pour ceux qui résistent en rêvant pour l’humain, le capitalisme va présenter la tache comme impossible, l’action comme dérisoire et l’avenir comme rêve est particulièrement dangereux. En contre partie, le capitalisme va se présenter pour chacun comme un possible-meilleurs en tant d’avenir. C’est dans ces conditions qu’on assiste à ce que Dominique MEDAT ([14]) a appelé atomisation de la société. Par ce possible-hypothétique, on tend à emprisonner le rêve et donc l’espoir dans un activisme tourné uniquement vers la satisfaction de ses propres désires et à des degrés divers. Ainsi, il tue le Rêve par l’illusion du rêve.
Nous avons eu l’occasion d’insister sur la complexité de la réalité et l’effort que doit déployer l’ETRE pour en avoir une représentation la plus exacte possible. Or cet effort nécessaire doit, particulièrement, être mis au service de la mise en lien de tous les éléments constitutifs de la réalité afin d’en saisir tous les mouvements. Cette tache est d’autant plus difficile que les liens sont masqués et que la totalité se présente comme un assemblage d’unités qui n’ont aucun lien les uns avec les autres. Dans ces conditions et sans effort, il est pratiquement impossible d’appréhender un quelconque sens.
Or, le capitalisme déploie ses forces tentaculaires pour orienter cette mise en lien dans le but de faire représenter la réalité à chaque ETRE comme une nécessité, rendant ainsi impossible de se représenter l’avenir autrement que dans la continuité de ce qui est. Pour cela, plusieurs instruments sont à l’œuvre :
- une éducation centré uniquement sur une formation segmentée basée sur la transmission des savoirs fragmentés nécessaires à l’accomplissement de la tache qui doit être tenue dans la chaîne économique et compatibles avec le rôle social qui lui est associé,
- une volonté farouche de segmenter les catégories pour couper tout lien entre elle. Ainsi on arrive à une représentation établissant une déconnexion entre l’économique, le politique, le social… etc. En effet, l’économique est présenté comme ayant ses propres lois, comme s’il était une nature en soi dirigée par des lois dictées par la nature. Dans cette logique, le politique se présente comme devant obéir aux dites lois économiques et il doit se contenter d’accompagner ce qui présenter comme nécessaire. Ainsi le social est réduit à l’état de conséquence et non comme finalité.
- Une pathologisation de tout comportement s’éloignant de la ‘’norme définie’’, qu’il soit une manière volontaire ou subit. Ainsi, le chômeur va devenir, par exemple, un ‘’cas social’’, le père de famille désespéré va devenir par exemple un dépressif, le jeune complément dépassé en classe et manifestant sa révolte va devenir par exemple un ‘’border line’’….etc. Afin, dire à chacun qu’il est d’une certaine manière le seul responsable de sa situation, toute une armada de re-éducateurs, de vendeur de bonheur, d’analystes, de vendeurs de recettes de communications et de savoir se vendre…etc. Toute cette armada est mobilisée pour amené le ‘’sujet’’ à se centrer sur lui-même afin de chercher et d’une manière endogène les causes intrinsèques de son malheur pour finalement l’éloigner de toute tentative de dialectiser d’une manière consciente sa propre situation dans une réalité globale.
- Une paupérisation conjugué à l’absence d’éducation : cette question concerne une large frange de la population mondiale. Elle est réduite à la survie, occupé seulement à savoir comment peut-elle assurer le prochain repas. Sans répit et sans ménagement plongée dans l’obscurité (pour reprendre l’expression de Socrate), bombardée par une représentation bonheur de la consommation et ce par écran interposé. Cet hypothétique bonheur devient la préoccupation majeure. L’essentiel de l’activité va consister à courir après ce bonheur sans jamais l’atteindre mais avec l’illusion du possible. Ainsi, ils vont devenir des travailleurs dociles faciles à exploiter et dans les conditions, les plus inhumaines possible comme les ‘’clandestins’’. La soif de consommation ne sera jamais assouvi et par la même occasion ils vont devenir aussi la cible du marché.
La question de la continuité en tant qu’identité demeure très sensible, car plus que tous les autres nous qu’elle constitue un élément important dans l’action de L’ETRE dans la mise en lien des éléments de la réalité avec lesquels il est en rapport pour se la représenter. Lorsque cet ETRE va se sentir menacé dans la continuité de son identité et dans ce qu’il considère être pour lui, toute son action va être diriger vers l’éloignement de cette menace. Tant que l’ETRE ne va pas être certain que cette menace est définitivement évacuée, toutes les tentatives de mise en lien de la réalité vont être subordonner à la représentation de cette menace. Les exemples des fanatiques religieux et des jeunes marginalisés dans les quartiers sont deux illustrations. On peut observer aussi ce phénomène à l’échelle d’une nation où les dictateurs ont l’habitude d’agiter la menace extérieur comme négation de l’identité. Ce mécanisme est constamment et sans relâche à l’œuvre, il est conjugué à une œuvre d’insécurisation permanente sous la menace des jeunes, de l’étranger, du conflit des civilisation, la compétition entre nation….Etc. La finalité de cette entreprise n’est rien d’autre que celle de maquiller les antagonismes réels et de transformer, par un tour de passe-passe le conflit en harmonie voir même en synergie.
A partir de ce nous avons développé plus haut, nous voyons bien comment l’ETRE est soumis à des forces qui n’ont d’autre but que celui de lui présenter sa réalité comme nécessaire et à l’intérieur de laquelle il peut se forger une petite lueur d’espoir tout en le dissuadant de toute volonté de changement qui serait dangereux pour lui et où il a tout à perdre.
Les instruments qui sont à l’œuvre sont donc destinés à dresser entre la conscience de l’ETRE et la réalité, des miroirs déformateurs pour enfin s’aliéner la conscience et de fait la liberté de l’ETRE, mais dans l’illusion de la liberté. Ainsi, l’aliénation ne passe plus seulement par l’économique, comme l’avait décrit Marx dans le Manuscrit de 1844, ‘’ l’ouvrier doit avoir tout juste de quoi vivre, et il ne doit avoir la volonté de vivre que pour avoir.’’, elle passe également par un processus qui masque cette réalité d’aliénation en la transformant comme étant méritée lorsqu’elle n’est pas choisie. L’injustice se transforme ainsi en justice et l’aliénation en liberté et avec le consentement en plus. C’est là où les démagogues de tout genre interviennent, quel s’agisse des sophistes de la cité ou de communicateurs d’aujourd’hui ou des pseudo intellectuels et/ou philosophes, pour justifier parfois l’injustifiable. Pour ce faire, ils détournent l’idée qu’on peut se faire de l’homme en la transformant par un tour de passe-passe pour faire des motifs de la colère une nécessité. Face à la nécessité il n’y a plus lieu d’agir.
Cet état de fait est devenu possible, car le maître est de plus en plus caché, invisible et impersonnel. Il se cache derrière ce qu’ils appellent les mécanismes macro-économiques, les lois du marché et la compétition. Dans ces conditions, le sentiment, dirons-nous, l’illusion de la liberté et de l’espoir s’est cristallisé uniquement dans un bulletin de vote dans un système appelé démocratie représentative que nous allons, maintenant, essayer d’analyser.
Aristote considère que ([15])’ la constitution la meilleure soit nécessairement cette organisation politique dans laquelle un individu quel qu’il soit peut se trouver dans la situation la plus prospère et vivre dans la félicité la plus parfaite, c’est évident’’ dit-il. Il ajoute que ([16]) ‘’ l’homme est par nature un être destiné à vivre en cité […] seul d’entre les animaux l’homme a la parole. […] seul il perçoit le bien et le mal, le juste et l’injuste, et les autres valeurs […]. Quelle que soit la nature du régime, cette conception de la politique a traversé et traverse encore nos sociétés. On peut dire d’une certaine manière que le régime issu la révolution française s’est également bâtie sur cette conception.
il est donc commun de définir le politique comme tout ce qui touche à la gestion l’espace public. Or, les affaires publiques règlent les relations entres les hommes, entres les groupes et fixent les droits et devoirs de chacun. Mais cette entreprise est soumise à l’idée qu’on se fait de l’homme et au sens qu’on peut donner à la communauté des humains. Cependant, si parfois, les conceptions des uns et des autres se rapprochent, ils sont souvent antagoniques. Ces antagonismes s’expriment dans des rapports de forces qui aboutissent à la redéfinition du pouvoir et son exercice et celle de la politique et son exercice.
Or, depuis la cité grecque, les rapports socio-économiques ont subi des transformations considérables, les rapports au temps et à l’espace se sont modifiés et le monde s’est réduit à la dimension de la cité. Si la démocratie, a eu la faveur de la plus part de ceux qui ont abordé la question du régime politique, il ne reste pas moins que son contenu a considérablement évolué et avec lui la notion du citoyen depuis la cité.
Dans ces évolutions nous allons essayer de dégager les tendance lourdes concernant les fonctions à la fois du politique et du citoyen.
L’évolution des structures sociales et politiques sont en inter-actions avec l’évolution des rapports sociaux-économiques. Le système d’organisation constitue une totalité où chaque catégorie ne peut être constitué en dehors de l’ensemble. Or, si on prend la cité grecque comme repère, on constate des bouleversements, voir même des révolutions dans tous les domaines. Ils ont entraînés des modifications dans les rapports au monde, à la nature et même dans l’idée que l’homme se fait de lui même. Nous allons nous limiter à un survol historique pour essayer de dégager la tendance lourde dans cette évolution.
La politique dans la cité consacrait une certaine idée de l’espace public. L’espace géographique était assez réduit et les débats sur le meilleur régime se sont cristallisés autours de la justice, le bien commun, des notions comme le bien et le mal et la pérennité du régime. Il faut noter une nette séparation entre l’espace public et l’espace privé. La conception du citoyen était conforme à une certaine hiérarchisation dans les rapports socio-économiques dans la cité. Dans cette conception, l’organisation des classes et/ou des catégories sociales ont été principalement justifiée par la représentation des natures de l’homme. L’idée de la politique chez Aristote en est une illustration. Cette organisation trouvaient sa traduction dans les rapports de productions. Ainsi, la sphère économique était animée fondamentalement par trois processus, la production artisanale et/ou agricole, la commerce et l’accumulation des moyens de productions de natures déférentes y compris les esclaves. La reproduction des rapports sociaux était assurée à la fois par l’organisation elle-même, mais également par la justification de l’existence de différentes natures des hommes, classées en catégories immuables puisqu’elles dérivent de la nature.
Ainsi, les question de l’égalité, du pouvoir et du devoir ont été conçues à l’intérieurs même de cette relation d’ordre. La question de la démocratie a été abordée sous l’exercice de la souveraineté des citoyens qui constituent une catégorie. Les questions du bien, du mal et de la justice étaient sou tendu par le respect du rôle de chacune des catégories et les équilibres qui assureraient la continuité de la cité. Cette question de la continuité a amené Aristote à concevoir l’exercice du pouvoir politique sous l’angle de la modération et de la tempérance et ce en opposition à Socrate qui lui met en avant l’idée de la vérité et de la justice. Au passage, nous constatons qu’Aristote a de fait essayé de dialectiser la question du pouvoir. Nous allons retrouvé cette idée par la suite chez Machiavel dans LE Prince. L’entité de la cité est ainsi identifiée essentiellement par l’espace géographique qui était assez limité, une organisation politique et sociale conçues par et pour les habitants de la cité. L’idée du citoyen a introduit une certaine « égalité » parmi la ’’classe’’ qui devait diriger les affaires. Les rôles sont distribués et ou conquis par des mécanismes connus à l’avance. Ainsi, on peut dire, l’expression de la souveraineté des citoyens était garantie par la démocratie.
Dans ‘’POLITIQUE’’, livre VII ([17]), Aristote insiste sur la dimension de la cité ‘’ …la « cité première » est nécessairement celle qui est formée de ce minimum de gens tel qu’il soit le premier groupe humain se suffisant à lui-même pour mener une « vie bonne » dans le cadre d’une communauté politique ‘’.
Si la notion de la cité était étroitement liée à l’espace géographique à l’intérieur de laquelle une certaine hiérarchie dans l’ordre social et économique a été définie, on peut trouver certaines similitudes dans les organisations tribales de part le fait qu’elles soient liées à l’espace et l’ordre régnant au sien de la tribu obéit à une hiérarchie bien établie, mis à part que le lien de sang dans la tribu constitue un le fondement de l’appartenance. Cependant la cité grecque constitue un dépassement de la tribu dans le sens où le lien de sang était amoindri pour caractériser l’appartenance.
Or, cette question d’appartenance va connaître une révolution avec l’avènement du Christianisme. Ainsi, l’appartenance va se définir par la croyance, ce qui va avoir comme conséquence, la redéfinition de l’espace identitaire. Elle va se faire lentement et au fil des siècles. Le facteur religieux va phagocyter les autres éléments définissant l’appartenance pour devenir prépondérant. A l’intérieur de système, qui va devenir progressivement une des référence identitaire, va s’élaborer une certaine conception du politique et une volonté d’expansion justifiée par le divin. Ainsi, les empires vont se succéder les uns aux autres. Cette logique va conduire progressivement à l’unification de régions entière et il va être couronné par l’imposition de la langue du plus fort. Ainsi, le concept de l’état nation va se profiler de plus en plus. Ce concept va s’appuyer essentiellement sur cinq éléments que sont le territoire, la langue, la religion, l’histoire et la culture. La volonté d’expansion va désormais être justifiée par l’introduction d’une hiérarchisation à l’intérieur du concept de civilisation. D’où le colonialisme. Ce dernier va exporter le modèle de l’état nation à l’ensemble de la planète. La notion du peuple va subir une adaptation conforme au concept de l’état nation. Il va se définir en plus des cinq éléments par la délimitation du territoire national. Notons au passage que dans bien des régions du monde qui ont subi la colonisation la délimitation des états obéissait à une autre logique que celle d’un processus historique conduisant à la formation d’un peuple. Cette logique a été animée la volonté d’imposer un ordre mondial déterminé. Notons, également que la révolution française va propulser, dans la pratique de vie politique trois notions que sont les droits de l’homme, l’universel et citoyen et qui constituent le socle de la démocratie conçue dans l’état nation.
Parallèlement, à cette évolution l’accélération de l’industrialisation va introduire une modification radicale dans les rapports économiques qui vont à leur tour avoir comme conséquence le déplacement du centre du pouvoir vers une bourgeoisie naissante. Cette bourgeoisie va se substituer à la féodalité pour grignoter les sphères du pouvoir, jusqu’à l’édification de la démocratie représentative.
- Notons que dans la cité grecque, même si la notion de citoyen était très restrictive, tous les citoyens avaient un pouvoir délibératoire pour gérer les affaires de la cité. La démocratie s’est bâtie sur l’égalité de tous les citoyens face à ce pouvoir. Notons également que l’exercice du pouvoir dans un système tribale reposait sur la délibération de certains membres, ayant droit, de la tribu. Cette manière d’exercer le pouvoir était possible du fait que l’espace géographique était très limité et que le nombre des personnes l’était, lui aussi. L’édification des empires, même dans leurs périodes les plus glorieuses n’a pas anéanti complètement cet espace délibératoire. Cependant, la redistribution des sphères du pouvoir était toujours au profit du pouvoir central et ce indépendamment de sa nature. L’espace et l’objet des délibérations vont se réduire lentement au profit du pouvoir central. Ce processus va s’accentuer jusqu’à la rupture introduite par la révolution française. Elle va donner à la démocratie un contenu conforme à la fois à celle de la cité mais adapté à aux exigence de l’état nation. Cette adaptation va s’appuyer sur trois concepts inséparables : le citoyen universel, la patrie et les droits de l’homme et du citoyen. Cette rupture cristallisée notamment dans l’universalité du citoyen, va être l’élément fondateur de la démocratie moderne. Mais compte tenu de l’étendu de l’espace géographique et nombre des citoyens il a fallu organiser les institutions de manière à consacrer cette égalité des citoyens par un système de représentation et ce à différents étages de l’exercice du pouvoir. Ainsi, l’espace délibératoire s’est cantonné au sien des institutions et aux élus représentant les citoyens. Le politique a élargie ses compétences à tous les domaines la vie : sociale, économique, diplomatique, éducative, familiale….etc. La légitimité du pouvoir va avoir l’exercice démocratique comme seule source de légitimité.
- L’état nation va alimenter le concept de l’intérêt national, qui va enter en contradiction avec les autres intérêts des autres nations. Cette contradiction va renforcer l’effet d’appartenance à la nation au détriment des contradictions internes, ainsi il sera le ciment du peuple. Par les effets de transfère des richesses grâce au colonialisme et l’expansion du capitalisme, les bourgeoisies nationales vont élargir leurs assises sociales et par-là mêmes, elle vont contribuer à consolider cette conception du politique et atténuer les crises internes. Mais la course à l’expansion va conduire à l’affrontement des états.
- En dernière analyse, la démocratie représentative a été conçue et exercée par la bourgeoisie nationale en s’appuyant sur l’état nation pour assurer sa propre survie et sa propre expansion. Mais si ce modèle a été exporté dans toute la planète sous diverses formes, dans les états sous développés, les intérêts des classes dirigeantes sont étroitement liés aux anciens pays colonisateurs et c’est pour cette raison qu’on parle dans ces pays du comprador.
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Si depuis sa naissance la bourgeoisie a réussi à assurer ses intérêts par un processus d’expansion industrielle, commerciale et financière en instrumentalisant le pouvoir politique, elle s’est appuyée essentiellement sur le marché national et sur un processus de transferts des richesses provenant des pays colonisés. Par, ce processus la bourgeoisie a pu élargir sa base sociale et l’industrialisation à marche forcée a permis de créer une identité ouvrière. Celle-ci a permis dans la lutte de hausser le niveau de vie par des acquis sociaux importants. Cette dynamique a donné du sens à la lutte politique par l’affrontement entre les conservateurs et les progressistes. Les uns et les autres représentaient respectivement les intérêts des classes diamétralement opposées. Dans le cadre de la démocratie représentative, le vote du citoyen s’inscrivait dans le cadre de cet affrontement politique.
Or, le territoire national ne peut offrir indéfiniment une base d’expansion au capitalisme, celui-ci a entrepris sa globalisation pour dépasser la sphère de l’Etat Nation. Mais cette entreprise ne peut aboutir sans, soit de s’accaparer totalement du pouvoir politique et à l’échelle planétaire ou soit redéfinir la sphère politique.
Chacun comprendra que la notion même de l’état nation constitue un obstacle pour que le capitalisme puisse s’emparer totalement de tous les pouvoirs à l’échelle mondiale, car le sentiment d’appartenance dépasse et de loin l’aspect économique. En quelque sorte le capitalisme n’avait le choix que d’introduire la notion du libéralisme et de l’imposer comme une nécessité. L’objectif ultime de cette opération est de déconnecter le politique de l’économique et donc de réduire la sphère politique. Cette entreprise a commencé son offensif par des accords mondiaux sur des secteurs de commerces à la dernière décade du 20ème siècle, pour finalement aboutir à ce qui est appelé Organisation Mondiale du Commerce. A partir de ce moment là, nous assistons à une déconnexion lente, mais opérationnelle entre l’économique et le politique. Ce dernier se prive lentement mais sûrement de tous les instruments de régulations économiques. De plus, le capitalisme tente de s’accaparer tous les domaines de la vie, non seulement économiques mais aussi sociales qui peuvent être génératrice du profit, comme la santé, l’éducation ..etc. Dans cette configuration, le pouvoir politique perd tous les moyens pour pouvoir appliquer une quelconque conception politique. Même entre deux conceptions radicalement différentes et/ou opposées, le pouvoir d’application d’une politique différente est réduit à néant. Que signifie dans ces conditions la démocratie et le citoyen ?
C’est ainsi, que la politique est vidée de son contenu par ce qu’elle est dépouillé de ses moyens d’action et par voie de conséquence le citoyen est dépouillé de son pouvoir de choisir par l’absence des choix.
Relayé par le politique qui désormais accepte de se dépouiller de presque tous ces moyens d’agir tout en affirmant le contraire, le libéralisme déploie ses forces tentaculaires et d’une manière invisible afin de se présenter comme une nécessité. L’économie est présenté comme une nature gouvernée par ses propres lois et ce indépendamment de la volonté humaine. C’est donc une idéologie où l’humain n’est qu’un moyen et où paradoxalement, il a le sentiment d’être libre et vivre en démocratie. C’est ce que nous appelons DEMOCRATURE.
Mais, que peuvent-ils opposer les forces transformatrices à ces forces tentaculaires et invisibles ?
[1] ‘’DIALECTIQUE ET SOCIOLOGIE’’ de GEORGES GURVITCH, p 27, éd SCIENCE FLAMARION, 1962
([2] ) ‘’le malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel’’, Paris, 2ème édition , 1951
([3]) vol. IV, des oeuvres philosophiques, éd. Molitor
([4] ) ‘’Dialectique et sociologie’’ de Georges GURVITCH, éd SCIENCES FLAMARION, 1962, p157,
([5] ) ibid, p.144
([6])Michel ONFRAY, ‘’POLITIQUE DU REBELLE’’ éd, GRASSET,1997, (Du réel, pp,64,65),
([7])" L'IDENTITE AU TRAVAIL de RENEAUD SAINSAULIEU pp318,319 éd Presse de la Fondation Nationale de Science Politiques Mars 1985.
([8]) Il faut comprendre ici par l’expérience toute interaction avec le monde extérieur et qui peut être médiatisée par toutes les façons possibles
([9] ) KANT ‘’ Fondements de la métaphysique des mœurs ‘’, 2001, éd Classique de poche, p69
([10]) ’’de l’esprit des lois’’ de MONTESQUIEU, 1979,éd GF FLAMMARION, Paris, p123
([11]) ARISTOTE, PolItique, livres I à VIII, col tel, éd Gallimard,1997
([12] ) Marcos, La dignité rebelle, de Ignacio Ramonet, Conversation avec le sous-commandant Marcos, éd, Galilée, 2001
([13]) C. WRITE MILLS ‘’L’imagination sociologique’’ traduit par Pierre CLINQUART, éd François MASPERO, Paris, p17
([14]) MEDA Dominique ‘’LE TRAVAIL, une valeur en voie de disparition’’ éd, PAYOT, Paris 1996
([15] ) ARISTOTE ‘’politique’’ livre VII , éd tel Gallimard, 1997
([16]) ibid, livre I
([17] ) ibid, p, 229
Commentaires :
Re:
dont acte...
sinon, l'ai mis là pouravoir temps de le lire tranquille sans rechercher le site, car pas d'ordi domestique.
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je suis l'éditeur de cet artile et je souhaiterai que je puisse être aussi déstinataire d'éventuels commentaures
merci
Karim EL WASSOULI
elwassouli01@tiscali.fr